jeudi 9 septembre 2010

Nestlé veut essayer de reproduire le succès de Nespresso avec le thé haut de gamme

Le Figaro 09.09.10

Le séculaire cérémonial du thé est-il en passe d'être bousculé par une machine intelligente ? Maintenant que son système Nespresso a modifié en profondeur la consommation de café dans le monde, le groupe agroalimentaire Nestlé lance en France et en Suisse, vendredi 10 septembre, son concept Special. T, une machine vendue 89 euros uniquement en ligne : celle-ci chauffera l'eau instantanément, filtrera chlore et calcaire, et s'adaptera en durée et température d'infusion à différentes sélections de thé.

Comme avec Nespresso, le consommateur n'achète pas une machine, mais un outil pour accéder à une gamme de 25 "thés d'exception", selon l'expression de Henk Kwakman, directeur générale de Special. T : les dosettes triangulaires encapsulent et préservent les bourgeons et les deux dernières feuilles des meilleurs thés noir, vert, rouge, blanc venus des contreforts de l'Himalaya du Japon, d'Afrique du Sud ou du Sri Lanka.

Special. T représente un pari sociologique inverse de celui de Nespresso. Parti d'un usage fonctionnel du café, Nestlé a réussi à créer un cérémonial autour des grands crus de l'arabica. Avec le thé, le groupe suisse va tenter d'introduire sa machine dans un monde déjà très ritualisé, celui des amateurs de thé. Même si la Chine et l'Inde représentent 60 % de la consommation mondiale - 1 500 milliards de tasses de thé sont bues chaque année dans le monde -, Special. T vise surtout le marché des pays développés et des grandes villes dans les pays en développement.

Le projet a été mijoté voilà trois ans. "Les clients des boutiques Nespresso regrettaient que nous n'ayons rien pour le thé. Nous les avons pris au mot", explique M. Kwakman, qui a aussi piloté le projet Nespresso. Le budget d'investissement est tenu secret, mais plusieurs millions d'euros ont été consacrés à la mise au point d'une machine qui reconnaît chaque variété de thé, propose un temps d'infusion optimal, tout en laissant le consommateur libre de calibrer lui-même l'infusion.

Vingt-cinq brevets principaux protègent la machine et les techniques permettant d'encapsuler les grands crus de thé sans les abîmer. Ces protections suffiront-elles à empêcher la concurrence ? Sans doute pas. M. Kwakman estime qu'elle surgira plus vite et plus fort que pour le système Nespresso.

La cible est féminine et Nestlé espère attirer de 1 % à 2 % des foyers français, soit des ventes comprises entre 180 000 et 250 000 machines. Un raid qui n'inquiète pas réellement Philippe Cohen-Tanugi, secrétaire général de Mariage Frères, maison de thé à Paris depuis 1854, qui réalise 40 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel : "Nos clients aiment l'arôme du thé, la forme des feuilles, l'apprentissage de l'infusion. Une capsule les privera du rapport sensuel qu'ils ont avec le thé."

Une machine a aussi le désavantage, selon M. Cohen-Tanugi, d'individualiser un rite social : "Ça sera plutôt une machine pour le bureau que pour les amis ou la famille." Néanmoins, "tous les projets tendant à démocratiser le thé sont intéressants, car il s'agit d'un élargissement du marché, pas d'un nouveau partage".

C'est d'ailleurs pour cette raison que la France a été choisie comme marché test : "Les consommateurs sont réceptifs à la qualité, au design, à l'innovation", affirme M. Kwakman.

Yves Mamou

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